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Bulletin thématique n°5 "Agitation sur les chantiers"

"L'urgence" par Brigitte Dalet, Assistante sociale

"Compagnonnage" par Audrey Cuvillier,  Psychologue en pouponnière

"Try again" par Tommy Caroff, Directeur

"Sauf qui peut!" par Cécile Peltier, Éducatrice spécialisée

 

 
Merci à Antoine Vasseur pour son dessin

 

 

L'urgence
Par Brigitte Dalet, Assistante sociale

 

Celle de la patiente qui appelle car rien ne va, elle est énervée, on lui a mal parlé, on lui met la pression, on veut lui prendre son enfant c’est sûr, l’hôtelier lui fait péter les plombs et  « c’est trop, j’en ai marre, marre de courir partout, de raconter ma vie, ça n’avance pas, c’est toujours pareil, ça ne sert à rien tout ça, faut que ça s’arrête, j’arrête tout, je vais partir, loin ».

Celle de la professionnelle qui cherche une orientation rapide en sortie de dispositif,  parce que ce n’était pas prévu comme ça, que finalement ça tourne mal, que l’équipe est très inquiète, que les différents professionnels ne sont pas d’accord, qu’on lui met la pression pour faire une IP alors que le problème c’est la précarité, parce qu’elle doit rendre son rapport d’évaluation et qu’elle n’arrive pas à voir la famille, parce que les dispositifs sont saturés qu’il n’y a plus que le 115 à appeler alors qu’il faudrait vraiment quelque chose de plus contenant de plus étayant, parce qu’il n’y a pas de budget pour envisager une mesure alternative comme un accueil séquentiel, parce qu’il est devenu compliqué de maintenir une communication avec la patiente qui refuse ce qui est proposé, parce que l’absence de statut sur le territoire ne permet pas de...

Que faire, que faire ?

Il faudrait ralentir la cadence, calmer l’affolement, car l’urgence, on le sait, empêche de penser, de trier, de regarder, de comprendre.

Que faire, que faire ?

Dire qu’on est démuni, qu’on n’a rien à proposer de mieux, qu’on ne sait pas ? Voilà, commençons par se dire tout cela. Et partant de là, on se sent, si ce n’est plus léger, moins seul, et à plusieurs on discute.

 


 

Compagnonnage
Par Audrey Cuvillier, Psychologue en pouponnière

 

Du temps des cathédrales, les compagnons bâtisseurs étaient amenés à se déplacer à pied d’un chantier à l’autre. Le temps du cheminement était mis à profit pour parler, apprendre, se taire et rêver.

C’est ainsi que j’ai vécu ma première expérience de collaboration avec le Dapsa. Comme un chemin de compagnonnage. Nos échanges téléphoniques réguliers étaient tels ces chemins buissonniers, parfois sinueux et escarpés, toujours apaisants et contenants. Cette fois là, la cathédrale en chantier était une mère et son enfant. Une mère en chantier aux prises avec des angoisses primitives réactivées par cette grossesse. Une enfant encore informe sur laquelle était projeté le chaos intérieur maternel. Leur cathédrale résonnait d’un silence angoissant, d’une solitude à deux. Cette jeune femme était rejetée par sa famille particulièrement par sa propre mère vorace et toute puissante. Elle vivait une relation amoureuse interdite. Puis, elle tombe enceinte et le sceau de l’interdit glisse sur l’enfant qu’elle porte. Sa grossesse est aussi rejetée par son compagnon qui lui demande d’avorter. Ses parents lui proposent de confier cette enfant à un couple stérile de leur entourage. Mère et enfant sont cernées par des voeux de mort et d’abandon. Alors que l’accès à la maternité semble barré pour cette femme, un diagnostic anténatal décelant une malformation digestive entraîne une malheureuse collusion entre fantasmes mortifères et réalité. Le foetus a une fente dans sa paroi abdominale qui laisse sortir une partie de ses intestins. Un défaut de membrane. Une interruption d’enveloppe. Mais, envers et contre tout, Elise nait. Quelques semaines avant le terme et par césarienne. Dès sa naissance, elle doit être opérée. Sa mère dit n’avoir pas eu l’impression de l’accoucher, probablement encore moins de l’avoir mise au monde. Plusieurs semaines après la naissance d’Elise, Madame sent son ventre bouger et a l’impression que le bébé y est toujours niché. Dedans? Dehors? Mort? Vivant? Madame vient voir Elise la première nuit mais ne parvient pas à franchir le pas de la porte et repart sans l’avoir vue. Le doute et la peur continuent de la tarauder. L’avenir d’Elise ne serait il pas meilleur si elle la confiait à l’adoption? C’est la valse des rendez vous pris puis aussitôt annulés avec les équipes de la Maternité. Elise, elle, peine à s’accrocher, à s’arrimer, elle flotte. Ce qui la relie à la vie est une sonde nasogastrique. Et puis à force d’étais mère et fille se sont trouvées et Elise a pu rejoindre sa mère.


Il me semble aujourd’hui que ce compagnonnage fertile avec le Dapsa nous a permis de nous faire réceptacle : réceptacle des interactions fantasmatiques entre la mère et son nourrisson. Réceptacle qui serait venu contenir ll’angoisse maternelle de l’informe et ainsi permettre au foetus d’advenir comme forme « bébé » puis comme sujet « Elise ». Nos échanges ont créé un contenant aux représentations intérieures de cette mère, à ce qu’ elle nous a communiqué des morceaux de son inconscient. Permettant ainsi de laisser advenir et se déployer l’état de « préoccupation maternelle primaire ».
Et moi, j’ai hâte de retrouver les chemins de compagnonnage qui nous mèneront vers le prochain chantier.

 


 

 

Try again
Texte et croquis par Tommy Caroff, Directeur

 

Un appel à projet vient de sortir. « Santé du jeune enfant 2021 » s’appelle-t-il. J’y réponds. Ce sera un échec, le projet ne sera pas retenu, en tout cas pas pour le moment. Je me relis une énième fois pour dénicher les lacunes du projet et retenter ma chance une prochaine fois.

Un décalage entre l’intitulé de l’appel à projet et le contenu de ma réponse me saute aux yeux : mon projet ne s’adresse qu’aux professionnels et aux parents. J’y ai bien mis du temps de psychomotricienne dédié aux bébés, du temps de psychologue clinicienne spécifiquement formée à l’observation du nourrisson, mais rien n’y fait. Je suis incapable de me représenter l’enfant comme le destinataire de ces interventions. Je parle encore et toujours d’aller se confronter aux peurs, aux évitements, aux réticences des parents pour mettre en œuvre ce que nos partenaires, soignants de l’enfant, auront préconisés pour lui.

Je voudrais réussir à rédiger une proposition authentiquement adressée à l’enfant quand il semble peu parlé, peu pensé, peu présent, pris dans le temps incertain des soins et des projets d’accompagnement de ses parents en souffrance. Mais comment proposer un interlocuteur à celui qui n’est pas locuteur ? Question chic et bien tournée, ça aurait fait une belle conclusion ! J’en restais là pour le moment et rentrais chez moi.

Dans le métro, une dame monte, son bébé dans la poussette. Une ado présente dans la rame cherche le bébé du regard, elle semble vouloir lui décrocher un sourire. Après deux ou trois grimaces elle y parvient, ils rient tout deux et la mère sourit à son tour à la collégienne. Le paradoxe de ma formulation – vouloir proposer un interlocuteur à celui qui n’est pas locuteur – n’en est plus un. Il vient de s’effondrer, entre Jourdain et Pyrénées.

Nul besoin d’être locuteur pour échanger, interpeller et être entendu, alors en 2022 je retenterai ma chance !

 


 

Sauf qui peut !
Texte et dessin par Cécile Peltier, Éducatrice spécialisée

  

L’urgence, avec les enfants petits, c’est quand le bébé ne retire pas des adultes qui s’occupent de lui la sécurité et le nourrissage dont il a besoin pour bien grandir. Il faut protéger l’enfant, il faut protéger ses parents de le meurtrir trop. L’urgence, souvent, c’est quand la mère se retire.

Des semaines, des mois, parfois des années que les professionnels construisent des étayages. Patiemment, étage après étage, ils montent l’échafaudage. Hissé tout en haut, le bébé porté par ses parents, eux-mêmes portés par les multiples professionnels des multiples dispositifs qui les supportent. L’urgence, c’est quand les parents ne supportent plus l’enfant ou, et, quand les professionnels ne supportent plus les parents. PATATRAS ! Tout s’effondre !

L’urgence vraie, c’est la nécessité d’agir. On sauve ce qu’il y a à sauver. Agir vite, agir bien, s’en remettre aux automatismes, aux protocoles, la pensée non pas absente mais centrée, concentrée sur la tâche à accomplir. Dans l’urgence, on avance !

C’est la crise, ça bouge, ça tangue, on écope, on rame, on fait ce qu’on peut.  Tout s’écroule, mais à l’étage du dessous, déjà les bras se tendent et recueillent le bébé, recueillent la dame, recueillent le monsieur. Ils ne seront pas tombés de trop haut.

On agit, puis ça se calme. La mer s’est retirée.

Tout est chamboulé, on ne reconnait rien. On a perdu pied, on est perdu. Nous sommes saufs, mais pas plus sains qu’avant, plutôt déboussolés.

Alors on va consoler les cœurs à marée basse.

Arpenter la plage, ensemble déterrer des secrets engloutis, des trésors parfois. Et se parler à nouveau, de la crise, de l’avant. Et reconstruire dès maintenant, patiemment recoudre les voiles, retisser les enveloppes déchirées, pour reprendre la haute mer.